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21 mars 2024
Use of Pesticides Act, cinq ans après

Depuis la promulgation du Use of Pesticides Act en juillet 2018, la communauté des planteurs semble davantage consciente des dangers des pesticides. La finalité de cette loi est la production de fruits et légumes plus sains pour le consommateur. Les interlocuteurs s’accordent à dire que ce chemin parcouru jusqu’ici n’est que le début. Faisons le point.

Nous sommes début 2021, on promet la vaccination anti-coronavirus pour bientôt, le train de la relance économique ronronne et Koshal Chummun a sa licence de gestion en poche... Circonstances familiales obligent, il effectue un virage à 360 pour s’engager sur la voie de son père et de son grand-père : être planteur.

A 28 ans, l’habitant de Montagne-Longue affirme n’avoir rien contre les pratiques d’antan. « Quand j’ai démarré, j’ai eu droit à plein de conseils : quels pesticides utiliser, à quel dosage, dans quels champs, et quels mélanges pourraient donner de meilleurs résultats. Ayant étudié la chimie et la biologie, je me suis vite rendu compte que ces mixtures sont contre-nature, » explique-t-il. Mais l’équation ne peut se résumer à planter – épandre – arroser – épandre – récolter – laver – vendre – puis tout recommencer. Au fil de la conversation, notre interlocuteur fait mention du Use of Pesticides Act, en vigueur depuis 5 ans.

C’est à la mi-2018 que le Use of Pesticides Bill est présenté à l’Assemblée nationale. Lançant les débats sur ce texte de loi, Mahen Seeruttun, alors ministre de l’Agro-industrie affirme que l’objectif principal du texte de loi est de s’assurer que la population consomme fruits et légumes (de production locale et d’importation), qui ne soient pas néfastes à la santé dans le long terme. Qui plus est, souligne-t-il à l’époque, le pays a le devoir se s’assurer que le million de touristes visitant notre pays consomment des produits agricoles frais et salubres.

Cette loi est complémentaire à la Dangerous
Chemicals Control Act de 2004, régissant l’achat, l’importation, la vente de produits chimiques classés « dangereux », mais pas l’utilisation de pesticides.

Un bilan difficile à mesurer

Les chiffres concrets semblent manquer sur l’impact de la loi. Un article de Septembre 2021 du Prof. Nitin Rughoonauth estime qu’il y a eu une augmentation de 22,3% de la quantité de pesticides utilisée à Maurice entre 2018 et 2020. Cette estimation semble basée sur les importations rapportées à la surface cultivée, plutôt que sur des statistiques d’utilisation.

En Juillet 2023, Maneesh Gobin – alors ministre de l’Agro-industrie – fait ressortir à l’Assemblée Nationale que le pays utilise environ 300 tonnes de pesticides, insecticides et fongicides par an. Depuis la promulgation de la loi, les planteurs feraient une utilisation plus judicieuse et efficace de ces produits chimiques tout en respectant les intervalles de pré-récolte, sans donner d’indications plus précises.

L’Etat veille au grain… avec les moyens du bord. Mis en place en septembre 2018, le Pesticide Control Office a prélevé 3,177 échantillons. De ce nombre, il s’est avéré que 110 échantillons contenaient des pesticides supérieurs à la Maximum Residue Level. Dans 515 cas, les produits utilisés n’étaient pas appropriés pour cette culture spécifique. Un total de 315 Improvement Notices ont été émis aux planteurs concernés, ces derniers étant par la suite conseillés par la FAREI.

L’espoir permis ?

Le nouveau cadre légal se veut surtout « conscientisant », dans la mesure où les organismes d’État font un réel travail de sensibilisation auprès de la communauté des planteurs. Koshal Chummun, notre agriculteur du début cite par exemple la formation dispensée par le FAREI promouvant les bonnes pratiques agricoles et des campagnes de sensibilisation et de formation sur l’utilisation judicieuse de pesticides.

La FAREI et divers organismes (MCA, Le Vélo Vert) accompagnent mêmes les agriculteurs qui veulent apprendre à produire selon les normes bio ou agro-écologiques. (voir « Cultiver Autrement » page 46).

« Nous sommes dans un climat tropical. La pression des maladies et insectes nuisibles demeurent très fortes, surtout en période d’été, synonyme de chaleur et d’humidité, » rappelle Patrick Lagesse, Managing Director du pôle Agriculture au sein du groupe Médine de Medine. « Œuvrer pour une baisse dans l’utilisation de produits chimiques demeure un travail sur une longue durée, un exercice au quotidien. Il s’agit d’innover et de se remettre en question, favoriser les produits naturels. »


Cultiver autrement, le bon sens des hommes



L’envie de produire sans chimie dynamise une partie du secteur agricole. Nous avons rencontré deux passionnés de la terre qui mettent cela en pratique.

Sur quelques 30 arpents de terrain à Curepipe, Ferney, Britannia et Bois-Chéri Jean-Patrice Anne cultive depuis 10 ans des fruits et des légumes responsables et durables.

« Depuis que je me suis lancé, j’ai opté pour l’agriculture organique et je ne regrette pas mon choix. Il est clair que mettre de l’engrais chimique aide à produire plus facilement et rapidement… Mais que sommes-nous en train de consommer et quel héritage laissons-nous aux générations futures ? », s’interroge Jean-Patrice. Pour passer de la parole à l’acte, il décide de suivre des formations auprès de la FAREI pour comprendre les fondements de l’agriculture organique et pour devenir agripreneur.

Dans cet élan de changement, Jean-Patrice n’est pas seul. Lors de son parcours, il croise le chemin de Vishesh Gangaram qui a lui aussi reçu l’appel de la terre. Il y a cinq ans, le jeune homme abandonne une carrière dans un monde très corporate pour se consacrer à la culture de fruits et légumes mais également à la production d’engrais organiques (NDLR : bios) pour l’enrichissement des sols.

« Nous devons prendre conscience que nous faisons partie d’un écosystème, en le détruisant, nous menaçons notre propre survie. Pendant des années, nous avons participé à une production et à une consommation qui ont énormément dégradé la terre et les résultats actuels sont catastrophiques. On a tout intérêt à régénérer le sol, ce qui va améliorer le rendement et contribuer à un environnement et des productions plus sains », explique Vishesh.

Le jeune homme s’occupe d’une bananeraie qui s’étend sur 4 hectares et d’un verger d’une superficie d’un hectare. «Je me suis rendu compte à quel point le sol était appauvri», constate-t-il. C’est alors qu’il décide de fonder Everbloom, une entreprise produisant des engrais et fertilisants naturels. Il élabore du compost, du biofertilisant à base d’urine et de bouse de vache, des fertilisants à base d’algues, du vermicompost ou du biochar. «Il y a différents moyens de fertiliser le sol sans le dégrader», explique Vishesh.

Ce changement de méthode est bénéfique explique Jean Patrice. En analysant la composition de fertilisants chimiques, composés d’azote, de potassium et de phosphore, il comprend que ces nutriments se retrouvent également dans le fumier. « Le résultat est meilleur. Par exemple, avec du fumier, la laitue prend environ 30 à 40 jours pour arriver à maturité tout comme en mettant des produits chimiques mais l’avantage est que nous avons des produits plus sains pour la santé et nous participons à la sauvegarde de l’humanité.»

Vishesh va dans le même sens. L’organique donne de très bons résultats, même si les coûts sont différents. «Il y a définitivement un éveil des consciences […]. Les Mauriciens recherchent des produits plus sains. Toutefois, on remarque que l’agriculture reste conventionnelle. Les pratiques agricoles changeront vraiment quand les gens accepteront de payer un peu plus cher pour avoir des produits plus sains.» souligne Vishesh.

« Un agriculteur doit comprendre son implication dans un écosystème » - Questions à Jean-Patrice Anne

Vous avez fait le choix de l’agriculture organique. Ça ne doit pas être facile tous les jours…

En bannissant les pesticides ou les engrais chimiques, j’ai besoin de trouver une alternative biologique. Et c’est là que le bât blesse. Il y a un manque de compost sur le marché et il est compliqué d’obtenir du fumier. Je négocie auprès de certaines écuries et j’élève des cabris mais ça reste une problématique. Et comme le désherbage se fait à la main, le manque de main-d’œuvre est un défi pour les agriculteurs, surtout pour ceux qui adoptent de bonnes pratiques.

Notez-vous des difficultés à convaincre d’autres agriculteurs de rejoindre le mouvement bio ?

Effectivement. Nous vivons dans un monde où nous voulons tout avoir vite et malheureusement les agriculteurs en font partie. Beaucoup veulent un rendement rapide et ne veulent pas se compliquer la vie en adoptant d’autres méthodes. Pourtant, en modifiant les pratiques, cela donne les mêmes résultats en termes de rendement, pour ne pas dire que c’est encore mieux.

Comment voyez-vous le futur ?

L’espoir est permis. Je salue le travail formidable effectué par les professionnels de la FAREI et du Regional Training Institute qui accompagnent et forment les agriculteurs qui veulent produire autrement. Je pense qu’il est important de réguler la profession et de permettre à seulement ceux qui ont des certifications en agriculture et à ceux qui ont été formés en de bonnes pratiques, de cultiver la terre. Un agriculteur doit comprendre son implication dans un écosystème, il doit comprendre l’importance des micro-organismes, du changement climatique et de l’impact des produits chimiques sur notre environnement.

Les astuces de Jean-Patrice

La nature aide la nature. Pour aider à combattre les maladies et autres ra-
vageurs qui menacent les plantations, certaines plantes et insectes auxiliaires sont mis à contribution. Le basilic, le thym, le romarin et le marigold repoussent certains insectes. La coccinelle élimine de nombreuses mouches. « Nous faisons partie d’un écosystème et en comprenant comment il fonctionne, nous pourrons mieux utiliser ce que la nature met à notre disposition pour produire plus sainement. »

Formation et conscientisation

« Nous avons des méthodes qui marchent ailleurs et même à Maurice. Le gouvernement encourage d’aller vers de bonnes pratiques agricoles. Pour faire les choses avancer plus vite, il faudrait donner aux agriculteurs des fertilisants organiques et qu’ils les testent pour constater leur efficacité. Un accompagnement et une formation sont également nécessaires par exemple pour lutter contre les ravageurs et les maladies, comprendre les avantages du paillage ou pour intégrer l’élevage à l’agriculture. Avec la formation et la conscientisation, nous gagnerons du terrain et nous pourrons shifter du chimique à l’organique », explique Vishesh Gangaram.