D’ABORD LES PUPILLES
Il y a quelque chose d’envoûtant avec les fleurs de giraumon de notre jardin. Leur pouvoir de happer notre regard. De nous émerveiller. De nous apaiser par leur délicatesse. De nous prendre par surprise aussi. Parce qu’il faut dire qu’on a failli l’enlever, tout ce brède. Quand les tiges et les feuilles ont commencé à prendre leur aise, à envahir tout l’espace, jusqu’à grimper le mur et aller chez les voisins.
Et puis un jour, on se lève et elles nous ont concocté un spectacle pour les yeux. A travers les grandes feuilles vertes, des fleurs jaunes se sont mises à ourler. Jaune ardent. Jaune chaleureux. Jaune chatoyant. Jaune lumineux. Jaune vitamine. C’est sûr, la beauté rend heureux.
A force de les contempler tous les jours, on avait fini par comprendre que ces fleurs s’ouvraient le matin et se refermaient au courant de la journée. Du coup, chaque matin, on avait adopté ce petit rituel. Les guetter. Au moment où elles tendent leurs corolles comme une invitation aux polinisateurs.
C’est vrai, on l’oublierait presque. Mais les fleurs sont les organes de reproduction des plantes. Les fleurs femelles avec leurs stigmates et leurs pistils attendent les fleurs mâles et leurs pollens et leurs étamines. Et si les abeilles ne répondent pas à l’appel, nous, les humains, on peut les marier manuellement. D’énormes giraumons dans son jardin, ça doit être impressionnant aussi.
Mais ces fleurs-là nous ont surtout donné des envies de photographe. L’envie irrésistible de capturer leur magie. Plans éloignés, zoom, sous le soleil, sous un ciel couvert, sous la pluie... on a pris un véritable plaisir à les shooter sous tous les angles. Une manière quelque part d’apprivoiser leur mystère, d’immortaliser leur beauté.
ENSUITE, LES PAPILLES
Et à force de s’entendre dire qu’on pouvait les déguster, on a fini par céder à la tentation. En principe, il vaut mieux cueillir les fleurs mâles. Pour laisser aux fleur femelles poursuivre leur métamorphose. Les fleurs femelles ont un renflement à la base, genre un début de fruit. Alors que les fleurs mâles ont de longues tiges qui s’élancent vers le haut. Pour notre part, on a tout cueilli.
On a suivi une recette pas à pas sur internet. Enlever les pédoncules et les pistils. Laver les fleurs, les sécher sur du papier absorbant. Les tremper dans des œufs, les enduire de farine puis les retremper dans des oeufs avant de les frire dans de l’huile.
Une véritable découverte gustative, ces beignets ensoleillés, ces tempuras végétariens. Des bouchées de fraîcheur. Délicieux parce que c’est fait maison. Parce que la pâte est fine. Parce que c’est léger. Parce que c’est croustillant en bouche. Parce que les notes végétales savent réveiller notre instinct gourmand.
Sur le même principe que les fleurs de courgettes, on peut aussi farcir les fleurs de giraumon. De fromage, de viande hachée, de légumes. Certains l’utilisent dans des salades, les pose sur des pizzas…tous les goûts sont dans la nature, on ne va pas s’en plaindre.
Après, on ne vous cachera pas que ça fait quand même un peu bizarre de passer ces pépites jaunes à la casserole et de les déguster. D’autant que d’habitude on achète des fleurs pour les mettre dans un vase, pour exprimer notre affection, nos condoléances…
En tout cas, même consommées, nos fleurs de giraumon à nous, n’avaient pas dit leur dernier mot. La preuve, ici même. On les a mis en mots et maintenant on les partage avec vous. Le bonheur continue donc.