De bon matin, aux abords de Port-Mathurin, on croise chaque samedi le boucher qui revient à son échoppe avec une lourde tant vakwa à la main. C’est le porc, fraîchement tué du matin, qu’il débite et travaille en grosses saucisses. Rodrigues a une tradition charcutière plus largement répandue qu’à Maurice La saucisse rodriguaise pourrait rappeler le lapcheong cantonais, d’apparence généralement rouge à marron foncé, avec des morceaux de gras bien visibles à la découpe. Elle est pourtant plus grosse, avec une saveur particulière qui ressort une fois grillée. Salée, avec des épices qu’on devine sans jamais cacher le goût de la viande et une pointe de sucre pour terminer. Sur les routes de l’île, on l’aperçoit qui sèche en grappes, comme une guirlande du nouvel an. Le soir, vers 18 heures, on la sent dans l’air, mêlée à la fumée du charbon.
QUE TROUVE-T-ON DANS UNE ASSIETTE RODRIGUAISE ?
Les rodriguais sont bien sûr amateurs de bonne chair et cuisinent parfois cette saucisse en rougaille comme dans toutes les îles des Mascareignes. Le porc peut aussi être « bouilli », ce qui signifie plutôt cuit à l’étouffé. C’est d’ailleurs le plat phare du 31 Décembre. Au quotidien, le porc cède souvent le pas à la volaille. Le poulet en daube ou au miel, mais toujours, toujours « enn poul lakour » qui a gambadé. Il n’est pas dodu mais il a du goût. Il n’est pas tendre mais s’attendrit par une cuisson lente, qui laisse une chair ferme, qui se déguste sans se déliter. Ici, on cuisine autant que possible des produits d’élevage.
La cuisine rodriguaise est surtout riche en légumes plus qu’en viande. Giraumons, pois carrés, salades, tomates, oignons, limons, piments, brèdes… les étals du marché débordent de variétés. Les couleurs vibrantes, le parfum des produits se retrouvent dans l’assiette.
Le pays produit aujourd’hui uniquement 22 tonnes de ses haricots secs rouges, célèbres pour leur crémeux. La plantation se fait généralement au mois de mars/avril pour une récolte en juin ou juillet. Une fois récoltées, les cosses sont séchées au soleil puis les haricots extraits et triés – bat zariko comme on dit localement.
La production de maïs s’établit aujourd’hui à moins de 400 tonnes contres plus de 500 en 2017. C’est une source de féculent importante, cuisiné dans le diri may, un savant mélange blanc et or de riz et de mais, légèrement doux, qui tient au corps... parfait pour les plats en sauce.
Les chiffres de Statistics Mauritius le montrent, l’agriculture comme l’élevage restent difficiles à Rodrigues. En Avril 2022, la FAREI a ouvert une antenne sur l’île pour soutenir le développement agricole. L’eau se trouve toute l’année mais jamais vraiment en abondance, jamais vraiment à satiété. La sécheresse est un phénomène quasi annuel à Rodrigues. L’agriculture est donc d’abord, nécessairement, affaire de subsistance.
De ces conditions difficiles naissent des produits qui ont du caractère. Une fois qu’on y a gouté, correctement préparés, la singularité du terroir rodriguais s’impose comme une évidence. Au début des années 2010 d’ailleurs , plusieurs études menées avec le concours du CIRAD et du PNUD visaient à développer un label sous forme d’indication Géographique Protégée. Imaginons un instant un « Prodwi Rodrig » qui identifierait et valoriserait l’agriculture, l’élevage, la pêche et l’artisanat traditionnels rodriguais.
Cette introduction de surface à la gastronomie rodriguaise pêche évidemment par tout ce qu’elle ne dit pas. Rodrigues se découvre par les sens et par l’échange. Il faut y aller et parler aux habitants. Ça tombe bien, ce n’est pas très loin.
Merci à Anne Cupidon pour ses précieux éclairages sur le quotidien et la culture Rodriguaise.